Prisonniers
des gouttes d'eau, nous ne sommes que des animaux perpétuels. Nous
courons dans les villes sans bruits et les affiches enchantées ne
nous touchent plus. À quoi bon ces grands enthousiasmes fragiles,
ces sauts de joie desséchés ? Nous ne savons plus rien que les
astres morts ; nous regardons les visages ; et nous soupirons de
plaisirs. Notre bouche est plus sèche que les pages perdues ; nos
yeux tournent sans but, sans espoir. Il n'y a plus que ces cafés où
nous nous réunissons pour boire ces boissons fraîches, ces alcools
délayés et les tables sont plus poisseuses que ces trottoirs où
sont tombées nos ombres mortes de la veille.
Quelquefois,
le vent nous entoure de ses grandes mains froides et nous attache aux
arbres découpés par le soleil. Tous, nous rions, nous chantons,
mais personne ne sent plus son coeur battre. La fièvre nous
abandonne.
Les
gares merveilleuses ne nous abritent plus jamais : les longs couloirs
nous effraient. Il faut donc étouffer encore pour vivre ces minutes
plates, ces siècles en lambeaux. Nous aimions autrefois les soleils
de fin d'année, les plaines étroites où nos regards coulaient
comme ces fleuves impétueux de notre enfance. Il n'y a plus que des
reflets dans ces bois repeuplés d'animaux absurdes, de plantes
connues.
Les
villes que nous ne voulons plus aimer sont mortes. Regardez autour de
vous : il n'y a plus que le ciel et ces grands terrains vagues que
nous finirons bien par détester. Nous touchons du doigt ces étoiles
tendres qui peuplaient nos rêves. Là-bas, on nous a dit qu'il y
avait des vallées prodigieuses : chevauchées perdues pour toujours
dans ce Far West aussi ennuyeux qu'un musée.
Breton
& Soupault, Les Champs magnétiques (1920)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire