mercredi, septembre 10, 2014

Le langage

Au programme de ce cours :
- Les principaux enjeux de la question du langage
- Quatre textes sur la nature et la fonction du langage : Platon, Hegel, Nietzsche et Bergson
- Un corrigé de dissertation : "Les mots cachent-ils les choses ?"

Le cours intégralement rédigé se trouve ici.

I- Le langage comme faculté humaine

- La différence entre langue et langage - le langage comme faculté
- La langue comme "plan d'abstraction"
- Signes et signaux
-> Van Frisch : le "langage" des abeilles (et sa présentation par Benveniste)

A lire également l'excellente dissertation de Simone Manon : Peut-on parler de langage animal ?

Pour un bilan exhaustif et passionnant de ces questions, on se reportera à l'article de Dominique Estel Langage et communications animales

II- Les mots et les choses

- Le dilemme du Cratyle - signification et désignation
-> Héraclite : [L'oracle de Delphes] ne dit ni ne cache, mais il signifie.
-> Le problème du cercle carré
- Diversité des langues, pluralité des mondes ?
-> Le mythe de Babel
- La langue comme système de signes. Le sens naît par différence (Merleau Ponty)
- Textes de Nietzsche et Bergson (explication consistante ici)
- La fonction de la poésie : retrouver un accord entre mot et choses ?
-> La "consommation" des mots - Valéry : "Nous disons qu'un texte est clair quand nous ne percevons pas le le langage dont il est fait".

"L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. (...) A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner."
Francis Ponge, Le Parti pris des choses

"Je dis une fleur! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour en tant que quelque chose d’autre que les calices sus musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tout bouquet."
Stéphane Mallarmé, Art Poétique

III- Le langage et la pensée

- La pensée précède-t-elle le langage ?
Oui : Descartes, Bergson
Non : Saussure, Benveniste, Hegel, Merleau Ponty
On ne le saura jamais : Rousseau
- Descartes : la pensée, condition du langage
- Hegel : pas de pensée sans langage (texte en annexe)

Pour un exposé riche et limpide du problème : Simone Manon

V- Les fonctions de la parole

- Parole et psychanalyse
- Parole et désir : apaisante ou attisante (la délibération)
- Parole et pouvoir

Ouvrages de référence :

Saussure : Cours de linguistique générale (1916)
Benveniste : Problèmes de linguistique générale - 1 (1966)
Mounin : Les Problèmes théoriques de la traduction, Gallimard, 1963 et « Tel » no 5, 1976

Platon : Cratyle, Théétète
Descartes : Discours de la méthode (1637)
Rousseau : Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755). On pourra consulter également : Essai sur l'origine des langues (inachevé)
Nietzsche : Sur la vérité et le mensonge au sens extra moral (1873)
Heidegger : Lettre sur l'Humanisme (1946) (un grand texte mais difficile d'accès)
Merleau Ponty : Signes (1960)

Le conseil de lecture : Le rire, Bergson (1900)

Pour aller plus loin : Martinet, Éléments de linguistique générale (1960)
Annexes : Textes de Platon, Hegel, Nietzsche, Bergson


TEXTE 1 : Platon

" Socrate : dis-moi maintenant, étranger, poursuivra-t-il, ce que c’est que cette beauté
Hippias : le questionneur, n’est-ce pas, Socrate, veut savoir quelle chose est belle ?
Socrate : je ne crois pas, Hippias, il veut savoir ce qu’est le beau
Hippias : et quelle différence y a-t-il de cette question à l’autre ?
Socrate : tu n’en vois pas ?
Hippias : je n’en vois aucune
Socrate : il est évident que tu t’y entends mieux que moi. Néanmoins, fais attention, mon bon ami : il ne te demande pas quelle chose est belle, mais ce qu’est le beau.
Hippias : (…) le beau, c’est une belle fille
(…) Socrate : permets, Hippias, que je prenne à mon compte ce que tu viens de dire. Lui va me poser la question suivante : " allons, Socrate, réponds. Toutes ces choses que tu qualifies de belles ne sauraient être belles que si le beau en soi existe ? ". Pour ma part, je confesserai que, si une belle fille est belle, c’est qu’il existe quelque chose qui donne leur beauté aux belles choses. "

Platon, Hippias majeur, 287c

TEXTE 2 : Hegel

"C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées, nous n’avons des pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que par suite nous les marquons de la forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. Mesmer en fit l’essai, et, de son propre aveu, il en faillit perdre la raison. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut c’est l’ineffable. 
Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité l’ineffable c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute on peut se perdre dans un flux de mots sans saisir la chose. Mais la faute en est à la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle n’en est pas au mot. Si la vraie pensée est la chose même, le mot l’est aussi lorsqu’il est employé par la vraie pensée. Par conséquent, l’intelligence, en se remplissant de mots, se remplit aussi de la nature des choses."

HEGEL, Philosophie de l’esprit

TEXTE 3 : Nietzsche

"Tout mot devient immédiatement concept par le fait qu'il ne doit pas servir justement pour l'expérience originale, unique, absolument individualisée, à laquelle il doit sa naissance, c'est-à-dire comme souvenir, mais qu'il doit servir en même temps pour des expériences innombrables, plus ou moins analogues, c'est-à-dire, à strictement parler, jamais identiques, et ne doit donc convenir qu'à des cas différents. Tout concept naît de l'identification du non-identique. Aussi certainement qu'une feuille n'est jamais tout à fait identique à une autre, aussi certainement le concept feuille a été formé grâce à l'abandon délibéré de ces différences individuelles, grâce à un oubli des caractéristiques, et il éveille alors la représentation, comme s'il y avait dans la nature, en dehors des feuilles, quelque chose qui serait "la feuille", une sorte de forme originelle selon laquelle toutes les feuilles seraient plissées, dessinées, cernées, colorées, crêpées, peintes, mais par des mains malhabiles au point qu'aucun exemplaire n'aurait été réussi correctement et sûrement comme la copie fidèle de la forme originelle."

Nietzsche, Introduction théorétique sur la vérité et le mensonge au sens extra-moral (1873) (in Le livre du philosophe, GF)


TEXTE 4 : Bergson

"Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous l'influence du langage, car les mots (à l'exception des noms propres) désignent tous des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s'insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui­-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d'âme qui se dérobent à nous dans ce qu'ils ont d'intime, de personnel, d'originalement vécu. Quand nous éprouvons de l'amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est­-ce bien notre sentiment lui-­même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d'absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n'apercevons de notre état
d'âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu'il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l'individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d'autres forces ; et, fascinés par l'action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu'elle s'est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-­mêmes."


Henri Bergson, Le rire

“Matière ou esprit, la réalité nous est apparue comme un perpétuel devenir. Elle se fait ou elle se défait, mais elle n’est jamais quelque chose de fait. /Telle est l’intuition que nous avons de l’esprit quand nous écartons le voile qui s’interpose entre notre conscience et nous. Voilà aussi ce que l’intelligence et les sens eux-mêmes nous montreraient de la matière, s’ils en obtenaient une représentation immédiate et désintéressée./ Mais, préoccupée avant tout des nécessités de l’action, l’intelligence, comme les sens, se borne à prendre de loin en loin, sur le devenir de la matière, des vues instantanées et, par là même, immobiles. La conscience, se réglant à son tour sur l’intelligence, regarde de la vie intérieure ce qui est déjà fait, et ne la sent que confusément se faire. Ainsi se détachent de la durée les moments qui nous intéressent et que nous avons cueillis le long de son parcours. Nous ne retenons qu’eux. Et nous avons raison de le faire, tant que l’action est seule en cause. Mais lorsque, spéculant sur la nature du réel, nous le regardons encore comme notre intérêt pratique nous demandait de le regarder, nous devenons incapables de voir l’évolution vraie, le devenir radical. Nous n’apercevons du devenir que des états, de la durée que des instants, et, même quand nous parlons de durée et de devenir, c’est à autre chose que nous pensons. Telle est la plus frappante des deux illusions que nous voulons examiner. Elle consiste à croire qu’on pourra penser l’instable par l’intermédiaire du stable, le mouvant par l’immobile.”

Bergson, L'évolution créatrice, chapitre IV

Quelle est la fonction primitive du langage ? C’est d’établir une communication en vue d’une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c’est l’appel à l’action immédiate ; dans le second, c’est le signalement de la chose ou de quelqu’une de ses propriétés, en vue de l’action future. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu’il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à trier, de la même action à faire, suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l’idée. L’un et l’autre ont sans doute évolué. Ils ne sont plus aussi grossièrement utilitaires. Ils restent utilitaires cependant.


BERGSON « La pensée et le mouvant »

N.B : Assez bon commentaire de ce dernier texte ici

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